23 Jours en Mer avec les Titans du Pacifique






Vers Raroia

9

 Quand le travail à Takume est terminé, nous reprenons la mer et nous nous dirigeons vers Raroia. 

Ce voyage est pour moi un véritable pèlerinage vers mes ancêtres et ma famille Paumotu. 




Mais depuis quelques jours ce sont mes ancêtres scandinaves qui me hantent.

Ma grand-mère est Paumotu et a épousé un suédois assez courageux pour avoir traversé plusieurs océans avant d'atteindre les mers du Sud. Et même si je connais très peu de ma famille scandinave, j'ai toujours été fascinée par ces peuples du Nord aux cheveux clairs et à la peau blanche comme moi. 




Peuple Viking et peuple Parata se ressemblent malgré tout. 
Ce sont tous deux des peuples guerriers, féroces, redoutés et redoutables. 
Ils ont navigué, pillé, mais pas ou peu colonisé. 
Ils ne craignaient personne et tout le monde les craignait. 
Quel héritage !



-----------------------------------------------


Avec Vanaa ma... 

8

de gauche à droite:
Mathias Tuki, son épouse et dame de Tematagi


Avec mes nouveaux amis, passagers du Nukuhau, nous décidons d'aller explorer l'île ensemble. 

Il y a la dame de Tematagi et son fils qui se rend au pensionnat de Hao. 
Il y a Bellona, embarquée à Anaa qui rentre à Tahiti. 
Et il y a aussi un couple de Rapa Nui.
Ils ne parlent que la langue de Rapa Nui et l'Espagnol.
Nous arrivons à nous comprendre car le tahitien et le Rapa Nui sont des langues qui ont les mêmes racines et qui se ressemblent. 

La dame de Tematagi et celle de Rapa Nui échangent sans cesse les mots. 
Elles passent leurs journées à s'instruire l'une et l'autre et l'une de l'autre. 
Lorsqu'elles rencontrent une plante, une fleur, un animal, un objet, un sentiment, tout est raison d'échange sémantique.

 Nous leur avons attribué le surnom de " Fare Vanaa", le nom de l'Académie Tahitienne.
A bord, maintenant, tout le monde les appelle tout simplement "Vanaa". 

L'homme de Rapa Nui s'appelle Mathias Tuki. 
C'est un artiste très connu dans le monde de la musique du Pacifique. 
Musicien, et auteur-compositeur, il a composé certaines chansons chantées par mon ami Bobby Holcomb, artiste très aimé de la population polynésienne.






------------------------------------

A Makemo 

7



Nous traversons le village, visitons les églises, puis marchons jusqu'au phare qui se tient majestueux au bout de la route blanche et droite qui mène à la mer. 

C'est merveilleux de se tenir à ses pieds et de ressentir les embruns dispersés dans l'air par les vagues qui s'écroulent à même l'océan. 

Nous nous sentons tellement bien près du phare que nous n'avons plus envie d'en partir même lorsque la pluie arrive par bourrasques.


--------------------------------------

Au large de Katiu

6



C'est une autre belle journée sur les mers des Tuamotu. 
Nous avons quitté l'île de Anaa, mais nous sommes toujours dans le monde des Parata ou Putahi. 

Au large de Katiu, la baleinière est hissée hors du navire et posée sur la mer. 
Elle a à peine touché la surface de l'eau que le pilote Gilles Avae a déjà démarré le moteur. Une concomitance qui me surprend d'admiration chaque fois. 

Puis le pilote approche la baleinière tout près de la coque du navire pour faciliter le chargement. 
Et Alain le grutier très expérimenté et habile procéde au chargement. 

Une jeune femme qui a embarqué hier à Anaa monte avec moi dans la baleinière pour "la balade". 
Elle a quitté Anaa et se rend à Tahiti. 
Pour le faire elle doit accomplir l'itinéraire complet du bateau, c'est-à-dire voyager pendant une vingtaine de jours. 

Anaa est la première escale et Tahiti la dernière de notre parcours. 
Les hommes et femmes des îles sont courageux et aventuriers. 
Ils ne craignent pas de s'aventurer vers l'inconnu. 

Le voyage fait partie de leur vie. 
Le voyage coule dans leurs gênes







-------------------------------------

Rencontre avec Monsieur Yip, 

maire de Anaa...

5.




Je m'assois dans un coin avec ceux qui sont installés dans l'attente. 
Les habitants de Anaa attendent.
Je les observe, mais eux aussi m'observent, discrètement. 
Qui est cette vahine au look popaa? Va-t-elle rester à Anaa? Si elle continue le voyage, où va-t-elle? 

J'aurais aimé marcher jusqu'au village et le découvrir. Mais il pleut des cordes. 

Un jeune homme à qui je souris entame une conversation avec moi. Quand je lui fait part de mon souhait, il me montre en souriant un monsieur aux cheveux blancs. 
Un homme qui a l'air très alerte.
Mince, de taille moyenne, il a l'air modeste et sympathique.

 - "C'est le maire de Anaa. Tu devrais lui demander de t'emmener visiter. Sa voiture est là." 

Il me montre du regard une petite jeep japonaise. Mais je n'oserais jamais. 

Donc je continue à bavarder avec mon interlocuteur. 
Quelques autres personnes me font de grands sourires. 
D'autres me posent des questions. 
Ils veulent savoir qui je suis et ce que je fais sur le Nukuhau. 

Puis je remarque trois femmes assises l'une à côté de l'autre sur le petit muret du hangar. 
Elles sont bien en chair et leurs rires sont éclatants et bruyants. 
Elles sont drôles.



Je vais vers elles. 
Elles sont toutes contentes et d'emblée bavardent avec moi. 
Tout à coup, un rire d'homme vient se mêler à ceux de ces femmes joyeuses.

 L'homme entonne un chant de bringue: 
"les femmes d'Amérique, elles sont bien jolies,
 mais pour les avoir il faut des dollars.
 Tandis qu'à Tahiti on les a pour rien,
 vive Tahiti, le pays des amours." 

Je me retourne. C'est le maire de l'île: Calixte Yip.



---------------------------------------------

A Anaa 

4.




Je prends la baleinière avec Jean-Marie le régisseur et Alani qui m'a passé un gilet de sauvetage obligatoire. 

Le temps est gris. Un léger toriri se met à tomber. 
Lorsque que je pose les pieds sur l'île de mes ancêtres, Gana ou encore Anaa comme on l'appelle aujourd'hui, la pluie se met à tomber avec force. 
Toriri devient à présent pluie battante. 



Au lieu de m'agenouiller et d'embrasser la terre comme le fait le Pape lorsqu'il foule un nouveau pays, je cours me réfugier sous le hangar avec la population qui attend ses livraisons. 

Un ami m'a prêté son sac à dos étanche pour ce voyage et je sais que l'appareil photo et tout le reste sont à l'abri. 
Il m'a aussi offert pour l'occasion un carnet "rite in the rain" qui permet d'écrire même sous la pluie. 

Lorsque je trouverai une place ou m'asseoir c'est là, sous le hangar, que j'y écrirai mes premiers mots. 





Les baleinières ont commencé leurs allers-retours. 
J'observe l'immense barge arriver, chargée de denrées, de voitures et du cheval. 



A bord du Nukuhau, ils ont commencé à libérer le dessus des cales.

Puis le petit container de la "vente à l'aventure" arrive, le bureau de vente d'Alani.
Il est posé à terre, face au vent pour sa fraîcheur.



Alani s'installe et démarre les commandes.


La journée commence...



_________________________

En route vers Anaa 


3.



Notre première escale sera l'île de Anaa.
C'est l'île de ma grand-mère, de sa famille, de mes ancêtres. 

Je n'y suis jamais allée, mais j'y ai hérité d'une belle cocoteraie et d'une plage au sable fin éclatant de blancheur. 
J'ai hâte d'embrasser l'île de mon regard. 

Anaa s'appelait autrefois, et encore aujourd'hui dans les bouches des anciens, Gana.
L'étoile Gana au sud (Apa toga) indiquait que l'atoll de Anaa se trouvait au-dessous. 
Pour nos ancêtres le ciel était vu comme une mer d'étoiles, au même titre que la mer était une constellation d'îles. *

Chaque atoll avait ses propres références stellaires.
Et l'étoile prise comme guide pour naviguer est appelée Kaveiga. 
Les étoiles utilisées par les gens de Anaa de Tahiti à Anaa étaient Te Uru O Tiki, ou Les Cinq Étoiles du Dauphin. 

Sur le Nukuhau, ce navire équipé des instruments et technologies modernes, point n'est besoin de connaître la carte stellaire à l'instar de nos ancêtres même si certains marins et capitaines connaissent les étoiles, les vents, les houles et les courants aussi bien que ceux qui les ont précédés sur les routes de la mer de lune.


*Ref: frederic Torrente, Histoire des guerriers d'Anaa




_______________________________

Sur les quais des goélettes de Papeete

1.








Sur le quai de Motu Uta, je suivais de près l'armateur Tutehau Martin qui nous frayait un chemin entre les élévateurs, les camions, les grues, les containers, les bouteilles d'eau et bonbonnes de gaz empilées et autres cargaisons de toutes sortes.


Les hommes, marins et dockers, concentrés à leur tâche, nous observaient du coin de l'œil, l'air de rien. 

Nous allions visiter cette goélette qui m'emmènerait vers des îles dont je ne connaissais que le nom.

Plus nous approchions du navire, plus je regrettais de m'être embarquée dans cette aventure. Le navire peint de noir ne m'enthousiasmait pas. 

Puis l'armateur prononça des mots magiques: la "Vente à l'aventure". 
Ces mots éclatèrent en moi tel un présage heureux.
Je ressentis soudain le désir de tout découvrir.
Le Nukuhau se para de lumière et s'enveloppa de mystère. J'eus hâte de partir avec lui.





-----------------------------------------------------------------



Le départ

2.






Samedi soir. C'est le grand jour du départ. 


Il est presque dix-sept heures lorsque j'arrive à Motu Uta. Sur les quais il n'y a que quelques voitures. Il pleut et personne n'est dehors. Le quai est propre. Tout est calme. 

Je regarde le Nuku Hau. Il est chargé. Mais tout est rangé impeccablement. 
Parmi les fûts de gas-oil empilés les uns sur les autres, les bonbonnes de gaz, les bouteilles d'eau et les containers, il y a cinq voitures à livrer dans les îles. 

Je jette un coup d'œil sur l'itinéraire que je vais faire avec le navire. 
Il y a au programme une vingtaine d'îles à visiter. "Une île par jour" m'a dit l'armateur.
Je ne connais pas la plupart d'entre elles. Je connais certaines par leur nom, d'autres pas du tout. 
Leurs noms résonnent alors en moi de tout leur exotisme et mystère. 
Je suis accueillie par le lieutenant subrécargue Alani Likefia. 

Nous partons sous la bruine, le Toriri qui en Polynésie est symbole de bénédiction. 
La nuit tombe, Tahiti s'allume. 
Et, comme chaque fois que je m'éloigne de mon île par la mer, je la contemple jusqu'à ce qu'elle disparaisse. 



Lorsque Tahiti s'est fondue dans la nuit, je me tourne vers l'horizon infini, vers la mer, l'océan Pacifique pour lequel mon cœur bat si fort. 


-----------------------------------------------------------------



Aucun commentaire: